Contexte et destin

Contexte et destin

À travers le parcours de Laurence Deonna, nous baignons dans le bruit et la fureur de notre temps, un monde dans lequel elle n’a jamais hésité à s’immerger. « Les hôtels de luxe n’ont jamais été mon biotope plaisante-t-elle, et je n’ai jamais suivi la mode du petit tailleur Chanel et son collier de fausses perles ».

D’une incroyable vivacité d’esprit, attirée par l’inconnu dans le sens le plus large du terme, l’Autre la fascine: qui est l’Autre ?

Ce film révèle des faits moins connus de sa vie ; ceux de la femme tout court ! Des faits inédits et déroutants sur ce désarmant personnage qui, malgré une carrière internationale, a toujours peiné à s’imposer dans son propre milieu. Nul n’est prophète en son pays, et encore moins quand on est née fille en 1937 et que l’on a osé mener sa vie sans tabous. Son impertinence et sa désinvolture dérangent, tout comme son féminisme affiché et ses positions, radicales pour l’époque. Dans une Suisse honteusement à la traîne, elle milite pour le droit de vote des femmes et pour la légalisation de l’avortement. Dans les années 60 déjà, elle dénonce la condition des femmes musulmanes. Elle s’engage pour la cause palestinienne, et dénonce inlassablement l’horreur des guerres, leur bêtise et leur absurdité – sans pour autant perdre sa foi en l’humain.

À trente ans, elle s’en va. Elle ne sera ni la « femme de », ni femme au foyer. Rien que d’y penser l’angoisse. Partir : sa délivrance. Partir : se perdre pour mieux se trouver. Partir pour revendiquer son autonomie au mépris des conventions

Provocatrice, elle a su rebondir, servie par son instinct : «J’ai toujours senti jusqu’où je pouvais aller trop loin… ». Son sang-froid et sa débrouillardise lui ont permis bien des fois de se tirer de situations pour le moins périlleuses sinon rocambolesques.

Des souvenirs, elle en a plein la tête. Ainsi, en juin 1967 déjà, elle couvre pour le Journal de Genève le camp arabe de cette guerre que l’on appellera plus tard la Guerre des Six jours, et qui sera suivie de beaucoup d’autres… En 1981, la voici à Belfast, en Irlande du Nord, alors que le militant de l’IRA Bobby Sands se laisse mourir de faim dans sa cellule pour dénoncer l’occupation anglaise qui dure depuis des siècles… En 1984, armée de son appareil photo, elle parvient à pénétrer, la redoutable prison politique d’Evine, à Téhéran, en République islamique d’Iran. Elle en sortira saine et sauve, ce qui ne sera pas le cas d’une autre femme journaliste, la canado-iranienne Zahra Kazemi qui, en 2003, sera arrêtée dès le seuil de la prison, et dont le corps sera rendu sans vie à sa famille.

Son métier de reporter a amené à toutes sortes de rencontres. Des chefs d’état sanguinaires, comme l’Ougandais Idi Amin Dada ou l’Irakien Saddam Hussein, mais également des hommes de paix, tel l’ancien Secrétaire général des Nations-Unies, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, ou l’écrivain Vaclav Havel, alors Président de la Tchécoslovaquie…

Si Laurence Deonna a connu la dépression au cours de sa longue vie, elle n’en reste pas moins aujourd’hui une femme de caractère dotée d’un anticonformisme rafraichissant et d’un esprit mordant ! Son ancien rédacteur en chef au Journal de Genève, Antoine Maurice, la décrivait comme « un missile non guidé ». Elle-même se verrait plutôt ainsi : « J’ai regardé le spectacle de l’Histoire depuis mon petit strapontin, et croyez-moi, il y avait de quoi voir et de quoi dire ! J’ai eu largement de quoi remplir mon sac à malices ».

« Tu as le talent du mot juste », lui a écrit un jour son amie Ella Maillart, l’aventurière et écrivaine genevoise. Elle avait raison. Laurence a le mot spontané, saisissant et imprévu qui fait mouche. Son récent ouvrage, un pavé publié en 2014, porte un titre qui lui va comme un gant « Mémoires ébouriffées, ma vie, mes reportages ». On y découvre que derrière l’image de la militante féministe, bat le cœur d’une femme vulnérable qui assume sans honte ses faiblesses, ses égarements, le sentiment de solitude qui n’a jamais cessé de l’habiter, ses larmes. Cette sincérité nous la rend proche, attachante et vraie.

Avec pour régions de prédilection, depuis près d’un demi siècle, le Proche et le Moyen-Orient, ainsi que les Républiques de l’Asie Centrale ex-soviétiques, Laurence Deonna est l’auteure de treize livres, reportages ou essais, tous illustrés par ses propres photos et quasiment tous traduits dans plusieurs langues.

À l’aide d’archives personnelles exceptionnelles et de témoignages inédits et rares, ce film nous plongera dans le tourbillon de l’existence d’une femme entière, tourmentée et exigeante, qui n’a jamais eu peur des mots pour dire sa vérité. Un film avec pour toile de fond, un pan de notre histoire.

Malgré l’âge et la fatigue, Laurence Deonna continue à témoigner et à faire témoigner. La voici publiant maintenant la biographique tragique d’une journaliste kazakhe, Lira Baiseitova, symbole de cette liberté d’expression pour laquelle Laurence s’est tant battue, lorsqu’elle présidait au destin de la section suisse de l’association « Reporters Sans Frontières » (2000-2003). Grâce à elle, Lira Baiseitova a obtenu l’asile politique en Suisse. Elle vit à Genève.

En 1987, le Prix de l’UNESCO pour l’éducation et la paix lui a été décerné pour « l’esprit de son œuvre ».